Ce témoignage est écrit sous le signe de la honte. De la honte qui me prend le cœur, me noue l’estomac et me donne envie de fuir.
Plus que fuir, des fois j’ai envie de détruire mon corps car il me fait honte. Ce corps que maintenant je déteste, à cause d’elle.
Mais avant de parler d’« elle », il faut que vous explique la situation, aussi douloureux que cela puisse être.
Une soirée et une rencontre
C’était en 2010. Je sortais du lycée, encore tout jeune, tout confiant et surtout un peu innocent. Oui, c’est un peu cliché de dire innocent, mais c’était le cas.
Je faisais confiance à tout le monde, filles et garçons, sans méfiance aucune. J’étais de nature distante mais quand je me sentais à l’aise, je pouvais facilement m’abandonner à mes potes, et surtout aux filles.
Alors quand je suis entré en première année de prépa littéraire, je me suis tout de suite épanoui. C’était une promo sympa, avec des cours intéressants et une stimulation importante — de quoi être encore plus en confiance.
En novembre, une semaine avant mon anniversaire, une amie m’a proposé de l’accompagner à une soirée. J’y suis allé, sans hésiter. Je me suis montré assez à l’aise, même si je ne connaissais pas grand monde ; à vrai dire je ne connaissais que ma pote.
J’ai enchaîné les verres en discutant, jusqu’au moment où une fille est venue me parler.
Elle m’a lancé un classique : « Tu bois quoi ? ». Je lui ai répondu, un peu froidement. Ensuite, volubile, elle s’est mise à m’asséner des questions sur ce que je faisais, qui je connaissais ici, sur ma vie plus généralement.
Malgré mon peu d’entrain initial, je me suis vite senti à l’aise.
Après tout, elle était pas mal cette fille. Vraiment pas mal. Elle sortait du lot. Très jolie, bien fringuée et une confiance en elle qui débordait, et qui, je dois dire, m’a impressionné.
On s’est assis sur le canapé. La musique était forte donc on parlait fort, je m’entendais mal, et au bout de quelques instants j’ai commencé à avoir mal au crâne et le cœur soulevé par l’alcool.
J’ai également commencé à subir la discussion. J’ai remarqué qu’elle papillonnait des yeux, et je me suis dit que c’était un sacré cliché. Je suis vite devenu passif, et je me suis montré complètement ailleurs.
Je sais pas ce qu’il s’est passé dans sa tête, mais franchement je ne donnais pas l’impression d’être intéressé.
Quand l’impensable se produit
Pourtant après un bon quart d’heure de discussion difficile, elle s’est levée et m’a demandé de la suivre. Sans raison, je me suis exécuté. Je me demande encore pourquoi… Elle m’a emmené dans une chambre.
Tout de suite elle a posé ses bras sur mes épaules. J’ai haussé les sourcils. C’est à ce geste, pourtant pas équivoque de ma part, qu’elle s’est baissée. Elle s’est mise à genoux, a ôté ma ceinture.
J’ai clairement dit : « Non non, j’ai pas envie, non ». Elle a immédiatement baissé mon pantalon, puis mon caleçon.
Prostré, pétrifié, je ne disais plus rien. Immobilisé, j’étais capable de rien. Elle a mis mon sexe dans sa bouche. Le choc s’est intensifié, et je n’arrivais plus à exprimer quoi que ce soit.
Mais quelle folie m’a amené à ne plus pouvoir parler ? Je me sens tellement honteux de mon incapacité à dire quelque chose, je m’en veux tellement. Cinq ans après, j’y pense tous les jours.
Pourquoi ? Pourquoi aucune parole n’est sortie de ma bouche ? Pourquoi suis-je resté prostré ? Je me sens coupable, je sais que je ne devrais pas mais c’est plus fort que moi.
Coupable d’avoir subi. Coupable d’avoir été « faible ».
J’ai été violé, et j’en veux à mon corps
Le pire a suivi. Mon sexe était dur. Comment ? Je ne sentais pourtant rien, je n’avais pas la moindre envie. Horrible corps que je ne maîtrise pas. Immonde chair…
Je ne sais plus combien de temps ça a duré, cinq, dix minutes peut-être. Elle a fini. J’ai vu dans sa bouche que j’avais éjaculé, sans le sentir dans mon corps qui m’avait été comme enlevé. Mais pourquoi ? Pourquoi cette réaction ?
J’en veux tellement à mon corps. A-t-il aimé qu’on l’agresse ? Ai-je aimé ça ? Ce n’est pas possible. C’est incompréhensible.
Et puis, image qui me hante désormais à chaque moment de ma vie sexuelle, cette fille m’a lancé un regard satisfait. Le choc était au paroxysme. Elle avait pris du plaisir ! Elle m’avait soumis de la pire des façons, elle m’avait souillé et elle était au top.
S’était-elle rendue compte ? Non, elle croyait qu’elle m’avait fait une faveur. Du genre « je suis bonne, je t’ai sucé, tu devrais être content ». Tout ce que je ressens en y repensant, c’est du dégoût. Du dégoût d’elle-même mais surtout du dégoût de moi-même.
Comment ai-je pu laisser cette personne infecte me salir ?
Pris d’une angoisse soudaine qui s’est totalement emparée de moi, j’ai relevé mon pantalon et renoué ma ceinture. Je suis sorti de la chambre. Elle m’a demandé : « Pourquoi tu pars ? ». Vraiment, pourquoi ?
Toujours pétrifié, je ne lui ai rien répondu. Je suis ensuite sorti de l’appartement et rentré chez moi.
Je me suis couché, angoissé, mais sans vraiment réaliser.
Le lendemain j’ai été réveillé par une bouffée d’angoisse, et je me suis rendu compte de ce qu’il s’était passé. Elle avait abusé de moi. On n’entend pas souvent parler de viols d’hommes, mais c’était arrivé.
C’était bien une pénétration non consentie, la définition même du viol. J’ai appelé l’amie qui m’avait amené à la soirée, la gorge nouée, pétri de peur et les larmes aux yeux. Je lui ai raconté.
La semaine qui a suivi, on a tous les deux tout tenté pour retrouver cette fille : je voulais qu’elle paye ce qu’elle m’avait fait. Mais on n’a rien trouvé. Elle resterait impunie. Avec du recul, j’ai encaissé ce fait, immuable, mais j’espère de tout cœur qu’elle ne sera pas le bourreau d’une autre.
Les conséquences du viol
Les six mois qui ont suivi, j’ai été incapable de faire l’amour ou de me masturber. Je me sentais profondément sali et je ne voulais plus entendre parler de sexe. Les deux ans qui ont suivi, je n’ai eu aucune relation longue, je n’avais plus confiance dans les filles.
Jusqu’à ce que j’en rencontre une qui a toujours été parfaitement douce avec moi.
Mais encore maintenant, mes relations sexuelles sont noircies par ce souvenir. Je déteste mon corps, mon sexe, et si faire l’amour est redevenu un plaisir, cela reste aussi une épreuve : je ne veux pas qu’on me possède, ni que je sois l’instrument du plaisir de quelqu’un.
Je n’ai jamais dit rien à personne d’autre que cette amie jusqu’à il y a deux mois, quand je l’ai révélé à ma copine. Après cinq ans d’attente et de silence. Depuis, j’essaye d’en parler, mais cela me refait vivre le traumatisme, et me couvre de honte et de culpabilité. Il n’y a pas de retour possible.
Mon esprit me refait vivre le moment chaque jour, et tout ce qui en ressort, c’est une folle envie de mort. Ce traumatisme m’a complètement écrasé. J’ai l’impression que je ne guérirai jamais de ce dont j’ai été victime — le terme même de « victime » me donne des nausées.
Cependant je me bats pour ne justement plus en être une. Vivre dans la colère et le dégoût du monde ne ferait que me soumettre encore à cette fille et à son acte.
Pour cela il faut que je me réapproprie en tant que sujet, chose très difficile étant donné que l’image que je garde de moi-même, des années après, c’est celle d’un objet passif.
Néanmoins, pendant ces cinq années, j’ai tout fait pour surmonter ce qui m’est arrivé. J’ai fait un effort immense pour ne pas faire d’amalgame avec les autres filles, ce qui je crois est inévitable après une douleur pareille. Et ces dernières années, les discours féministes me font du bien, en particulier dans leur insistance sur la notion de consentement.
Car après tout je lui ai dit non, à cette fille. Et j’ai envie que tout le monde se batte pour que dans notre société dire non ne soit jamais entendu comme un oui…
Notre continent