Chaque année, Touba devient le cœur vibrant du Sénégal lors du Grand Magal, attirant des millions de pèlerins du pays et de la diaspora pour honorer Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, figure du mouridisme incarnant la dévotion, la patience et la résistance face à l’oppression coloniale. Le Magal, bien plus qu’une fête, est un acte d’adoration, un témoignage d’amour spirituel et une reconnaissance des épreuves endurées par Serigne Touba pour glorifier Dieu. Pourtant, une dérive inquiétante se dessine : l’apparence l’emporte sur la foi, l’ostentation sur l’humilité, le regard des hommes sur celui de Dieu.
Une course à l’apparence
Jadis, préparer le Magal signifiait se consacrer aux vivres, à la lecture des Khassaïdes, aux xassaïds, à l’accueil des talibés et à l’organisation de conférences religieuses. Aujourd’hui, dans certains foyers, les priorités ont changé. Des femmes investissent des fortunes dans des boubous brodés sur mesure, confectionnés avec des tissus de Dubaï ou de Turquie, assortis d’accessoires de luxe et de bijoux en or massif. Les séances photo professionnelles et les publications sur Instagram ou TikTok transforment le Magal en un défilé de mode, un tapis rouge où l’ego prime. Où est l’humilité prônée par Serigne Touba ?
Célébrités et influenceurs : un rôle détourné
Certaines célébrités et influenceuses, avec leur visibilité, pourraient transmettre la véritable essence du Magal. Au lieu de cela, beaucoup en font une compétition sociale, cherchant à afficher la tenue la plus chère, le plat le plus garni, le salon le mieux décoré ou le plus de bijoux. Leur arrivée à Touba est souvent documentée pour le buzz – selfies, vidéos de repas, coiffures – visant des milliers de likes, loin de l’élan spirituel.
L’héritage de Cheikhoul Khadim
Cheikh Ahmadou Bamba, dont le Magal célèbre l’héritage, vivait dans le renoncement. Il refusait les honneurs coloniaux, fuyait le luxe et s’isolait dans la prière et le service à Dieu. Ses poèmes, nés dans l’épreuve et la solitude, incarnaient le détachement matériel. Comment honorer un tel homme par l’ostentation ? Comment se dire talibé tout en cherchant à être admiré ?Le danger n’est pas seulement la vanité, mais la perte du sens du mouridisme, une déconnexion de l’essence spirituelle du Magal. Ce que Serigne Touba attend, ce n’est pas l’élégance des habits, mais la pureté du cœur ; non la brillance des bijoux, mais la sincérité de la foi ; non les vues sur TikTok, mais les invocations à Allah.
Il est temps de recentrer les priorités : nourrir les talibés, aider les démunis à rejoindre Touba, distribuer des Khassaïdes, organiser des lectures et conférences religieuses, donner l’exemple aux générations futures. Cheikh Ahmadou Bamba n’a pas enduré l’exil pour que son nom serve au buzz, ni écrit ses poèmes pour qu’ils passent après des photos de bijoux. En ce Magal, posons-nous ces questions : suivons-nous Serigne Touba ou la mode ? Cherchons-nous la lumière divine ou les projecteurs humains ? Sommes-nous là pour adorer Dieu ou pour être admirés ? Le vrai Magal se vit dans le silence du cœur, la pureté des intentions et le service désintéressé. Que l’on soit fidèle anonyme ou célébrité, ce qui élève, c’est ce qu’on offre à Dieu, non ce qu’on montre aux autres.
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