Dans mon ouvrage, dont une partie a été plagiée par l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye qui avait accepté de le postfacer, j’ai évoqué le départ des troupes coloniales. Voici quelques éléments :
Le retrait des troupes coloniales d’Afrique a marqué un tournant symbolique dans l’histoire
du continent, mais à bien des égards, il a aussi été un acte de continuité, une transition qui n’a pas été aussi nette qu’il y paraît. Alors que les puissances coloniales se sont officiellement
retirées dans les années 1960 et 1970, les vestiges de cette présence militaire ont perduré bien au-delà de l’indépendance politique des nations africaines. Les bases militaires étrangères, les accords de défense et les relations de coopération militaire ont continué de marquer les
relations internationales de l’Afrique. Ainsi, le départ des troupes coloniales n’a pas signifié une véritable fin de l’influence coloniale, mais plutôt un déplacement subtil de la présence
impérialiste.
L’un des exemples les plus flagrants de cette continuité réside dans les relations militaires entre les anciennes puissances coloniales et leurs anciennes colonies, et ce, malgré les
proclamations d’indépendance. En 2022, selon un rapport du Global Security Institute, environ 15 pays africains accueillaient encore des bases militaires étrangères. Les États-Unis, la France, la Chine et la Russie, entre autres, ont maintenu une présence stratégique sur le
continent, soutenue par des accords bilatéraux de défense et des bases militaires permanentes
ou temporaires. Ces accords ont pour but de garantir une influence géopolitique, de sécuriser les ressources naturelles stratégiques et de lutter contre les menaces transnationales telles que
le terrorisme.
Le cas de la France est particulièrement emblématique. Après l’indépendance de ses anciennes colonies en Afrique de l’Ouest, la France a continué à maintenir des
bases militaires, en particulier au Sahel, un choix dicté par des enjeux de sécurité liés aux luttes contre les groupes terroristes. Selon les informations du ministère français des Armées, environ 5 100 soldats français étaient encore déployés en 2023 dans le cadre de l’opération
Barkhane, principalement dans les pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie). Ces troupes étaient ostensiblement présentes pour lutter contre les insurgés islamistes, mais leur présence a aussi renforcé l’influence militaire et diplomatique de la France en Afrique, à un moment où les grandes puissances mondiales s’affrontent pour le contrôle des ressources stratégiques du continent.
30La Chine, quant à elle, a récemment intensifié sa présence militaire en Afrique. En 2017, la Chine a ouvert sa première base militaire à Djibouti, à proximité du détroit de Bab-el-Mandeb, un passage stratégique pour le commerce mondial et la sécurité maritime. Selon un rapport de l’Institut d’Études de Sécurité de l’Union Européenne, cette base a des
objectifs stratégiques clairs, en particulier le renforcement de la protection des intérêts chinois dans la région de la Corne de l’Afrique et dans le cadre de la nouvelle route de la
soie. La Chine, en augmentant son influence militaire, réitère sa volonté de s’imposer comme un acteur clé dans la géopolitique mondiale tout en garantissant sa domination sur les
corridors de ressources stratégiques.
Mais le départ des armées coloniales n’est pas seulement symbolique ; il est également ancré dans une réalité géopolitique complexe. De nombreuses nations africaines, confrontées à des défis internes de sécurité, ont fini par signer des accords de défense avec des puissances extérieures, signifiant qu’au lieu de se libérer de la domination militaire, elles ont basculé
dans une nouvelle forme de dépendance. Les États africains se retrouvent, dans bien des cas,
à l’intersection de puissances mondiales aux intérêts divergents, dans une situation où leur autonomie militaire est parfois mise à l’épreuve.
Les données disponibles, notamment celles du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), montrent que les dépenses militaires en Afrique ont considérablement
augmenté ces dernières années. Entre 2010 et 2020, les dépenses de défense sur le continent ont bondi de 30 %, une tendance qui s’accentue au fur et à mesure que les pays africains
cherchent à renforcer leur souveraineté militaire tout en étant confrontés aux pressions extérieures. La question se pose alors, dans quelle mesure ce renforcement militaire va-t-il réellement contribuer à la souveraineté, ou est-ce une simple substitution des anciennes puissances coloniales par de nouveaux acteurs, perpétuant ainsi une forme de dépendance ?
Le retrait des troupes coloniales en Afrique a donc été plus qu’un simple acte de décolonisation. Bien qu’il ait été l’aboutissement d’une lutte historique pour l’indépendance,
il n’a pas pour autant marqué la fin de l’influence étrangère sur le continent. Aujourd’hui, les anciennes puissances coloniales et de nouvelles puissances émergentes continuent de jouer
un rôle déterminant dans les équilibres géopolitiques de l’Afrique, démontrant qu’après le départ des troupes coloniales, la quête de souveraineté et d’indépendance de l’Afrique reste
un combat toujours d’actualité.
1.1.2 Les nouvelles relations militaires et diplomatiques post-coloniales
La décolonisation a permis aux pays africains de revendiquer leur souveraineté, mais la réalité est plus complexe. Si certains pays ont noué de nouvelles alliances stratégiques,
d’autres continuent de dépendre des anciennes puissances coloniales. Le cas de la France, notamment avec la Françafrique, illustre bien cette relation complexe et ambivalente. La
France continue d’entretenir des relations étroites avec ses anciennes colonies, notamment dans les domaines militaire, économique et diplomatique.
En 2021, le rapport du CERI (Centre d’Études et de Recherche Internationales) a souligné que la France maintenait des accords militaires bilatéraux avec de nombreux États africains. Ces accords, souvent décrits comme une «néocolonisation» militaire, permettent à la France
de déployer des troupes sur le continent pour lutter contre le terrorisme, notamment au Sahel,
dans des pays comme le Mali, le Niger, et le Burkina Faso.
Cela dit, une tendance inverse émerge, avec des pays africains qui cherchent à diversifier leurs partenariats. L’essor des partenariats militaires avec des puissances comme la Chine, la
Russie et même les États-Unis a introduit une nouvelle dimension dans la géopolitique militaire africaine. En 2020, le rapport du Département de la Défense des États-Unis estimait
à 40 le nombre de bases militaires américaines en Afrique, principalement pour contrer les
groupes terroristes et renforcer la sécurité régionale.
Après des décennies de domination coloniale, le continent africain a été confronté à de multiples défis dans la définition de ses relations diplomatiques et militaires post-
indépendance. Si le départ des troupes coloniales, à l’issue des luttes pour l’indépendance dans les années 1950 et 1960, a symbolisé un premier pas vers l’autonomie, les relations militaires et diplomatiques post-coloniales ont continué à être marquées par des influences étrangères persistantes. Ces relations, qui se sont progressivement
complexifiées, sont aujourd’hui caractérisées par une recherche de souveraineté accrue, de diversification des partenariats et de plus en plus d’interactions avec des puissances non occidentales.
L’héritage des accords militaires signés entre les anciennes puissances coloniales et les pays africains indépendants reste prégnant, même après plusieurs décennies. Ces accords ont permis le maintien de bases militaires sur le continent, notamment celles de la France en
Afrique de l’Ouest, mais aussi de l’OTAN, des États-Unis, et plus récemment de puissances
comme la Chine et la Russie. Ces relations, souvent justifiées par la nécessité de garantir la sécurité régionale et de soutenir les gouvernements face aux menaces internes et externes, ont toujours été perçues par certains comme un moyen pour les anciennes puissances coloniales de maintenir un contrôle indirect sur les affaires internes du continent. En conséquence, ces
accords ont été largement critiqués par des chercheurs et des activistes africains qui y voient une forme de néocolonialisme.
En réponse à ce phénomène, l’Afrique a commencé à chercher à diversifier ses relations militaires et diplomatiques. En particulier, les nouvelles puissances mondiales, comme la Chine, la Russie et les États-Unis, ont joué un rôle grandissant dans les relations avec les pays africains. La Chine, en particulier, a intensifié ses investissements en Afrique,
notamment par le biais de son initiative «La Ceinture et la Route», et a établi sa première base militaire en Afrique à Djibouti en 2017. La Russie a également renforcé ses partenariats militaires, notamment en Libye, en République centrafricaine et au
Soudan, où elle fournit des armes, de la formation et des conseils militaires.
Ces nouvelles alliances ont permis aux pays africains de diversifier leurs partenariats et de réduire leur dépendance vis-à-vis des anciennes puissances coloniales.
L’Union Africaine (UA), créée en 2002, a joué un rôle central dans le renforcement de la diplomatie africaine. En cherchant à développer des politiques communes en matière de sécurité, d’économie et de gouvernance, l’UA a constitué un outil essentiel pour les États africains qui souhaitent prendre davantage en main leur destinée. La Force africaine en attente (FAA), mise en place en 2003, témoigne de l’engagement du continent pour une défense
collective. Toutefois, malgré les efforts pour renforcer la souveraineté militaire, l’UA fait face à de nombreux défis, notamment le manque de financement et de ressources pour garantir une intervention rapide et efficace lors des crises continentales.
L’autonomie militaire et diplomatique reste cependant un objectif difficile à atteindre. Les bases militaires étrangères, notamment celles des États-Unis et de la France, continuent
de symboliser la persistance de relations asymétriques. Les mouvements sociaux et intellectuels
africains, en particulier ceux qui dénoncent la Françafrique, appellent régulièrement à un retrait total des troupes étrangères et à la fin de ces accords militaires jugés inéquitables.
Les critiques sont nombreuses, mettant en évidence les risques de dépendance et de domination
dans les relations avec les anciennes puissances coloniales. Pourtant, l’Afrique est aujourd’hui plus que jamais en quête de nouvelles formes de partenariat qui ne soient pas simplement des prolongements des anciennes relations coloniales. Dans cette optique, le continent s’efforce de diversifier ses alliances avec des pays
non occidentaux, tout en renforçant ses propres capacités militaires et diplomatiques. La multiplication des accords avec des puissances comme la Chine, la Russie et même des
acteurs régionaux témoigne de la volonté de l’Afrique de réévaluer ses relations internationales, loin des anciennes logiques de dépendance.
Néanmoins, ces nouvelles dynamiques sont aussi l’occasion de repenser ce que signifie une véritable indépendance et souveraineté pour le continent. Si l’Afrique parvient à réduire sa dépendance vis-à-vis des puissances étrangères et à instaurer des partenariats plus équilibrés,
elle pourra alors peut-être s’affranchir des vestiges de son passé colonial.
Mais pour cela, il est essentiel que les États africains surmontent les obstacles internes, les conflits, les tensions interétatiques, et la corruption, qui continuent de freiner le développement de leurs capacités
militaires et diplomatiques.
Ainsi, les relations militaires et diplomatiques post-coloniales de l’Afrique continuent d’évoluer, et bien qu’il y ait des avancées notables, le chemin vers une souveraineté
complète et une véritable autonomie reste semé d’embûches. Le retrait des bases militaires étrangères et la mise en place de politiques de défense collective renforcent cette quête de
souveraineté. Mais cette transition ne sera complète que lorsque les États africains auront les moyens de se défendre et de défendre leurs intérêts sans recourir à des puissances
extérieures. Dans cette quête, les activistes, les chercheurs, et les mouvements sociaux continueront de jouer un rôle déterminant, en mettant en avant les enjeux liés à la souveraineté et en appelant à un réexamen des relations internationales du continent.
Les débats autour de la souveraineté et de l’autodétermination en Afrique ont également favorisé une résurgence du panafricanisme. Ce mouvement, qui promeut une vision d’unité et de coopération entre les nations africaines, se manifeste aujourd’hui par des demandes de
retrait des forces militaires étrangères, ainsi que par la recherche de solutions locales aux problèmes du continent. Le panafricanisme moderne s’inscrit dans un contexte où l’Afrique
cherche à prendre en charge sa propre sécurité, son développement et ses relations internationales, loin des influences extérieures.
Ces transformations marquent un tournant dans la manière dont les pays africains envisagent leurs relations avec l’ancienne puissance coloniale et les autres acteurs
internationaux. Alors que des défis subsistent, notamment en matière de stabilité politique et économique, la volonté de réinventer les relations diplomatiques et militaires sur le
continent semble plus forte que jamais. Le chemin vers une Afrique plus autonome, capable de gérer ses propres affaires sans ingérence extérieure, semble désormais tracé, ouvrant la voie à de nouvelles formes de coopération et à un avenir fondé sur des partenariats égalitaires.
Le chemin vers une Afrique véritablement autonome, où la sécurité et les affaires diplomatiques sont gérées de manière indépendante, reste une priorité pour de nombreux
leaders africains et un objectif fondamental pour les générations futures.
Zaynab SANGARÈ, journaliste d’investigation indépendante
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